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Comment restaurer vos disques
Réflexions sur les transferts analogiques, numériques et la restauration sonore de documents anciens
Lionel Risler, Studio SOFRESON
spécialisé dans la restitution sonore des documents anciens
Qu'est-ce qu'une copie droite ?
Pour les enregistrements "électriques", le respect, à la lecture, des courbes de gravures d'époque est évidemment indispensable. Des compensations ont été établies à la fois en fonction des équipements de gravure, de reproduction et des supports sonores eux-mêmes pour permettre la gravure d'une durée suffisante sur un disque dont les dimensions limitaient la densité du message inscriptible.
Mais les choix du type de phonocapteur, de la taille et du profil de la pointe de lecture utilisés, ainsi que celui de l'ensemble platine tourne-disques plus bras de lecture sont déjà une prise de position.
Le simple changement de nature des câbles de liaison entre le bras et le préamplificateur suffit à produire une modification perceptible de l'équilibre sonore subjectif. Il en est de même pour les liaisons interappareils en signaux numériques.
Chaque étape de transfert introduit inévitablement des modifications du signal sonore.
Contrairement à l'image cinématographique où l'on a soit des parties fixes, soit la possibilité de figer un moment donné, le son est lié au déroulement du temps, ce qui oblige le cerveau à une mémorisation et une analyse ultérieure.
Cette analyse se fait par comparaison avec des repères acquis eux-mêmes tout au long de notre existence; les sons réels des divers instruments, le naturel des voix etc. tout ceci est difficilement quantifiable. La prise de son fait appel au même cheminement, mais là, on a toujours la possibilité de pousser la porte du studio pour comparer avec le son direct et tenter de traduire le mieux possible via les haut-parleurs.
Les différentes positions d'un micro par rapport à une source sonore font varier considérablement le contenu du signal. Il n'est pas du tout simple de traduire un son en un signal électrique.
De tout temps, les prises de son ont eu une part importante d'empirisme.
Il faut donc se baser sur un jugement très intuitif pour tenter de redonner un peu de réalisme à des enregistrements anciens. La restitution optimum ne peut en aucun cas reposer uniquement sur des courbes théoriques très difficilement respectées à une époque où l'électronique était balbutiante et les moyens de mesure précaires.
Que dire alors des enregistrements acoustiques ne répondant à aucune norme précise et dont on ne peut absolument plus établir les caractéristiques techniques, celles-ci variant tellement d'une marque à une autre, voire sous la même marque, en fonction du lieu d'enregistrement et du technicien.
Les modifications des supports domestiques ont contraint à réduire les défauts d'origine, clics et bruits de fond. L'accroissement global de la qualité rend de plus en plus difficilement tolérables des parasites sonores totalement insignifiants il y a seulement cinquante ans.
Ces défauts étaient bien souvent gommés partiellement par les moyens de reproduction. Un disque ou un cylindre lu sur un appareil d'époque à pavillon produit un signal sonore très limité, non seulement en bande passante, mais aussi en dynamique, ce qui fait que les clics et bruits de fond étaient considérablement atténués par la reproduction mécanique.
Cela a conduit une firme anglaise, Nimbus Records, à la restitution sur CD de copie de disques par lecture acoustique, la lecture se faisant sur un phonographe pourvu d'un grand pavillon placé dans une salle de château assez sonore, ajoutant en plus des résonances propres au système mécanique, la réverbération du lieu d'enregistrement.
Ces ajouts temporels forment un traînage du son et une coloration irréversible en cas de copies ultérieures. Il est totalement impossible actuellement de corriger le son d'une voix enregistrée par exemple dans une salle de bains. Quoi que l'on fasse, la couleur sonore d'origine restera.
Une démarche aussi perverse a conduit de nombreux producteurs de grandes marques de disques à rééditer en pseudo-stéréo tentant, pour des raisons dites commerciales, de rendre stéréophoniques des enregistrements à l'origine monophoniques.
Ils procédaient par des corrections de timbres inverses sur les voies gauche et droite plus un ajout de réverbération artificielle différente sur les deux canaux pour simuler un faux espace sonore. Après cette opération, ils ont souvent détruit les sources d'origine pour des économies de stockage. Ces sources étaient la plupart du temps des mères métalliques, étape de galvanoplastie servant à produire les matrices de pressage.
L'avantage d'une copie faite à partie de ce type de document est de ne pas être entaché du bruit de matière et des clics inhérents au disque commercial pressé.
Certaines de ces mères n'ayant pas à l'époque de l'enregistrement fait l'objet de pressage commercial, toute source sonore non polluée est irrémédiablement perdue.
Il faut éviter au maximum les traitements irréversibles lourds qui, par comparaison à la peinture, pourraient être assimilés à repeindre la Joconde en couleur fluo et à jeter l'original pour limiter le stockage. On doit traiter avec discernement les documents sans apporter des modifications outrageuses. L'option dogmatique d'une absence totale de traitement serait également une erreur conduisant inévitablement à un rejet par une grosse partie du public non familiarisé aux défauts d'origine.
A partir du moment où l'on décide de re-publier un document ancien, il est indispensable d'apporter à l'auditeur un certain confort d'écoute si on souhaite qu'il n'arrête pas son CD avant la fin de la première plage.
L'élimination ou la réduction des défauts ne se fait jamais sans modification du signal. On est amené à doser des choix. Entre un document entaché de crépitements rendant l'audition pénible et un nettoyage trop fort altérant les qualités sonores, il y a, heureusement, des étapes intermédiaires garantissant une déformation minimale du signal pour un gain de confort d'écoute indispensable à la diffusion publique. On peut penser que, sans les améliorations de traitement apportées par les nouveaux outils audionumériques, le public n'aurait pas un tel regain d'intérêt pour notre patrimoine sonore ancien.
Revers de la médaille, plus les possibilités de correction ou de traitement s'accroissent, plus grands sont les risques de dérapage lorsque ces nouveaux outils sont utilisés par des techniciens du son manquant de discernement ou de formation. De toute façon, à chaque étape de traitement, il est indispensable d'effectuer des comparaisons avec le signal de départ. Pour une grande part, le travail de restauration doit être lié à un certain sens artistique et une familiarisation avec les sujets traités.
La bonne connaissance du mode d'emploi des appareils techniques utilisés ne suffit pas.
Une grosse partie de nos archives sonores est périssable à très court terme, soit par le vieillissement irrémédiable de certains supports, soit par la dispersion des collections privées. Les copies d'aujourd'hui seront vraisemblablement les archives de demain.
Urgence ! Ne privons pas les générations futures du témoignage que constituent les débuts de cette récente et grande aventure qu'est l'enregistrement sonore. Ce fut déjà le cas pour le cinéma où 90 % de la production d'avant guerre a disparu définitivement, ne laissant qu'une petite partie de celle-ci accessible au public. N'oublions pas que certains maillons indispensables au travail de report ne seront peut-être plus fabriqués industriellement d'ici quelques années, avec l'évolution des technologies et de la demande.
De plus, les personnes capables de connaître le contexte et l'histoire des sujets traités disparaissent progressivement.
Il faut qu'il y ait une prise de conscience générale de la fragilité de la partie sonore de notre patrimoine culturel et de l'urgence des mesures à prendre afin de pouvoir transmettre le maximum de documents aux générations futures et ceci dans des conditions d'accès et d'écoute satisfaisantes.
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