J'avoue que
j'exécrais les phonographes, de quelque marque, de
quelque nature qu'ils fussent.
On n'avait pas,
jusqu'à ce jour, trouve plus odieux ennemi du
silence qui est le bien le plus précieux et le
dernier refuge de l'esprit.
Dans un monde ou -
heureusement si l'on songe a ce que profèrent les
humains - les animaux ne parlent pas encore, les
machines, devançant illégitimement leur
tour, tout a coup, par un renversement inouï et
diabolique de l'ordre naturel, s'étaient mises a
parodier la voix et la musique du roi de la
planète, en leur enlevant ce qui leur restait
d'âme, pour la remplacer par des bruits a peu
près inavouables.
De tous les triomphes
de notre mécanique, c'était
assurément le plus pernicieux et le moins
tolérable. On eut dit une révolte des
régions inférieures, une propagation
méthodique de tout ce qui est bas,
accompagnée de ricanements métalliques,
afin d'avilir l'homme et de précipiter sa
démence.
Jean de La Fontaine,
aggravant son vieux vers plein de terreur panique, aurait
dit "Et
pour comble d'horreur, les machines
parlèrent."
Aujourd'hui je
dépose mes préventions, mes armes et ma
rancune.
Aujourd'hui,
grâce aux nouvelles méthodes, grâce a
ce petit coup de pouce que le génie innombrable de
nos frères finit presque toujours par donner aux
grandes inventions qui transforment les mondes, la voix
de l'être humain, c'est-à-dire ce qu'il y a
de plus spécifiquement humain dans cet être,
se fixe a jamais dans le temps, aussi vivante, aussi
frissonnante qu'au sortir de ses
lèvres.
Et quand je parle de
la voix, il va de soi que je parle en même temps de
la musique qui n'est, en dernière analyse, qu'une
voix qui dépasse ses limites, une voix
d'outre-terre qui exprime déjà ce que le
cur et l'intelligence ne sont pas encore a
même de faire entendre.
Elles vivent a
présent dans leur "Double", aussi incorruptible
que le " Double " Egyptien et ne peuvent plus se
déformer, se dégrader ni se
perdre.
Et les plus hauts
chefs-d'oeuvre du génie de l'homme &emdash; car
c'est incontestablement dans la musique qu'ils se
trouvent &emdash; reposent désormais, a l'abri de
la mort, dans quelques disques, lourds de secrets
spirituels, qu'un enfant de trois ans peut tenir dans ses
petites mains.
(document Columbia
1928)
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- photographie
Draeger
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